
Ma mère me dit souvent : «Ma fille, essaie de percevoir le merveilleux dans toutes les situations de la vie.»
En cette fin d’été, le Flamboyant fît son entrée en catimini, comme un chat se déplaçant précautionneusement dans les sous-bois, préoccupé par le craquement du tapis de feuilles sous ses pantoufles. Au fur et à mesure que les jours de septembre et d’octobre économisaient leur lumière, les arbres s’en emparaient pour parer leurs feuilles d’éclats de doré ou de rouge avant de s’effeuiller lentement au gré des vents, laissant rouler au sol cocottes de pin, glands de marronniers ou de chênes. C’était une semaine avant que je ne vois l’enfant gorgé de merveilleux.
Ce lundi-là, le ciel, d’abord menaçant, se mit à cracher quelques gouttes froides sur les gens fatigués s’étirant en une file sur le trottoir, guettant l’arrivée d’un autobus qui peinait à circuler dans le trafic. Des parapluies s’ouvrirent lentement à la manière de lampadaires de rues qui s’allument un à un. Les exécrables émanations d’essence des véhicules, maintenues basses par la pression atmosphérique, restaient à la hauteur de notre nez et nous prenaient à la gorge comme un prédateur tenant sa proie. Quelques personnes se retournaient, à intervalles réguliers, pour chercher du regard le mastodonte qui ne venait pas.
Sous l’impatience des gens, les bruits de la ville s’intensifièrent et des klaxons résonnèrent dans l’air humide. C’est dans ce flot incessant que nous les vîmes traverser à la croisée des rues au feu vert : le jeune papa tirant son fils de cinq ans par la main. Le regard du père allait du trafic, aux feux de circulation pour se perdre par terre, l’air préoccupé. Ils m’apparaissaient être des Boliviens.
- Et l’enfant? s’enquérait une amie à qui je racontais cette histoire urbaine.
- L’enfant… comment dire…

Le petit bonhomme, un pas derrière son père, sa menotte gauche posée au creux de celle de l’adulte, portait dans sa main droite un petit sac de papier brun ouvert sur le ciel. Il attrapait des gouttes de pluie. Bien entendu, une goutte ne se laisse pas capturer par du papier, mais elle laisse tout de même des traces de son évasion. Et c’est cette preuve du passage de la goutte dans son piège que l’enfant radieux montrait sporadiquement à son père qui y jetait un œil distrait et acquiesçait.
- Grosse ! riait l’enfant.
- Oui, fils.
Ils parvinrent au trottoir opposé et disparurent dans la cohue.
Mais pas à jamais.
Parce que quand la vie me bouscule et me bascule dans l’hiver, que je ne sais plus où donner de la tête, que le temps manque, cet enfant réapparaît dans mon esprit comme une invitation à cultiver le merveilleux.

® copyright_Texte appartenant à l’auteure et tiré d’un recueil en cours d’écriture
Je vous découvre aujourd’hui. J’aime tellement la phrase »Au fur et à mesure que les jours de septembre et d’octobre économisaient leur lumière, les arbres s’en emparaient pour parer leurs feuilles d’éclats de doré ou de rouge ».
Vous avez donc un nouvel abonné à votre blog 🙂
Au plaisir de vous lire encore.
Bertrand
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Bonsoir Clémence ,,,on dirait que tu nous revient avec —-l’année scolaire très bientôt! Je suis bien contente de revoir tes écrits. Les goutelettes de pluie , c’est si agréable quand on les entend tomber soit sur la roulotte ou ??? sur la tente de toile en camping ha,ha je ne sais pas si d’autres sont de mon avis ? Bye 7 août 2021
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Chère Yvette, ah! les gouttes de pluie qui tambourine sur le toit d’une roulotte de camping ou sur le toit d’une maison est une invitation à ralentir son rythme de vie.
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Cher Bertrand, je vous remercie sincèrement de suivre mon blogue. J’écris moins ces derniers temps, faute du temps qui file… Mais j’entends toujours l’appel du crayon. À bientôt.
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Le merveilleux se cache toujours dans l’oeil de l’enfant. Il voit tout. Ce sont les vieux enfants qui deviennent aveugles avec le temps. Mais pas tous, une chance !
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Chère Marlène, c’est joliment dit : ce sont «les vieux enfants qui deviennent aveugles» et, par conséquent, qui ne peuvent plus voir le merveilleux. Merci d’avoir pris du temps pour donner ton opinion 🙂
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Oh tres belle histoire,,, si bien raconté. Tres intéressante. J’aime beaucoup
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Bonjour, Lorraine. Merci d’avoir pris le temps de mettre ces quelques mots d’appréciation à la suite de ce texte. Ça a beaucoup de valeur pour moi 🙂
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Très beau ce texte Clémence..Chercher a cultiver le merveilleux, quelle bonne façon pour garder sa bonne humeur!La petite gouttelette …quand l’enfant va la voir devenue blanche , comme neige oh.là,là
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Chère Yvette, quel féerie ce sera pour cet enfant que de capturer des cristaux de neige ! J’ose à peine imaginer son plaisir ! Merci d’avoir pris de ton temps pour écrire un commentaire 🙂
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Chère Clémence,
C’est joyeux pour nous de v oir ces gouttelettes. Si tu vois les enfants immigrés-es ici avec nous=== et voir cette »’miraculeuse pluie et encore plus—cette quasi manne,,,tombée du ciel, ils n’en croient pas leur yeux!
Bye de S.Yvette
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Yvette, je trouve ton commentaire vraiment pertinent : c’est vrai que la pluie n’a pas le même sens pour tout le monde. Pour nous, l’eau est (encore) abondante et publique (pour l’instant), mais pour ces Boliviens, qui se sont battus lors d’un événement qu’on nomme la «guerre de l’eau» qui a mené à la mort d’un manifestant et qui en a blessé 170 autres, et ce, pour faire annuler un contrat de privatisation du service de leur eau par une multinationale, les gouttes de pluie revêtent tout un autre sens. Merci d’avoir partagé ta vision 🙂
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l’anonyme c’est Marie-Michèle
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Bonjour, Marie-Michèle 🙂 c’est vrai que c’est poétique. Je pense que quand on cherche le merveilleux, une certaine dose de poésie veut s’installer dans nos vies. Merci d’avoir pris du temps pour donner tes impressions 🙂
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C’est tellement poétique Clémence, j’en avais des frissons, de la tendresse et l’espoir, merveilleux.🎶💕
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