Ma mère dit souvent : «Ma fille, ne doute plus de toi, ni de tes talents ni de tes capacités.»
Cet hiver-là, pour encourager ma sœur qui s’entrainait pour un énième marathon, nous nous pointions à la piscine dès son ouverture, à cinq heures trente du matin.

Il y avait peu de monde à franchir les tourniquets à cette heure matinale. Que des habitués. Ça se comprend. Le cœur de l’hiver qui bat rageusement contre les parois vitrées du bâtiment chauffé, à coups de bourrasques de vent, de poudrerie et d’injures sifflantes est un organe blanc capable d’anéantir le courage de n’importe qui. Thermomètre : moins 20 degrés Celsius. Luminosité : noirceur totale. Cible : tout être vivant incapable d’utiliser le principe d’hibernation.
Dans le vestiaire, nous revêtions nos maillots colorés, non sans frissonner. À la fois d’hiver et de plaisir anticipé que procure l’idée d’aller nager. Puis nous empruntions un corridor glacial dont les murs et le plancher étaient constitués de carrelage de céramique menant à la piscine, nos gougounes claquant la semelle comme des bruits de langue en bouche.

Nous plongions d’abord les orteils pour tester la température de l’eau que nous jugions toujours trop froide, puis descendions l’échelle presqu’à contrecœur pour nous immerger dans le liquide aux odeurs chlorées.

Les baigneurs, plus courageux que nous, avaient déjà plongé. Les murs entourant l’immense piscine nous renvoyaient l’écho des clapotis d’eau.
Pendant que ma sœur s’échinait à réussir ses longueurs, ma mère et moi pataugions. Nous étirions nos membres dans l’eau tiède. Rions. L’humour de ma mère, comment dire… Je ne connais personne d’autre capable de glisser un papier-mouchoir dans son soutien-gorge de maillot de bain pour le brandir au besoin, triomphante, dans la piscine, dégoulinant d’eau, certes, mais ô ! combien utile! Selon ses dires !
Souvent ma mère quittait le bord de la piscine bleue et se jetait dans l’eau pour parcourir quelques mètres à la nage. Par réflexe, mes yeux se fermaient pour se protéger des éclaboussures. Elle revenait s’agripper au rebord pour reprendre son souffle et s’élançait de nouveau. J’observais son manège pendant que je m’étirais les jambes.

Tout s’est passé si soudainement…
À peine le temps d’une respiration.
Ma mère a coulé.
Dans un élan de survie, ses bras et ses jambes ont fait la roue dans l’eau provoquant des vagues, projetant de l’eau, et dès qu’elle a réussi à prendre pied au fond de la piscine, sa tête a jailli. En marchant, elle s’est dirigée rapidement vers le bord de la piscine pour s’y cramponner à s’y blanchir les doigts.
La jeune femme juchée sur sa tour d’observation, enserrée dans un gilet orange de sauvetage, nous regardait, le sifflet à la bouche, prête à intervenir; constatant que tout rentrait dans l’ordre, s’est détournée pour surveiller quelques adolescents intrépides.
J’ai rejoint ma mère vissée au rebord.
- Ça va ?
- Oui.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- J’ai douté.
- Douté ?
- Douté que j’étais capable de nager.
Cela faisait une demi-heure que ma mère pataugeait et nageait et par un tour de passe-passe du cerveau, elle a cru durant une infime particule de temps qu’elle n’était pas capable de nager.
Alors bonjour le fond !
De la piscine.
Ou pour d’autres situations analogues que les doutes s’amusent à couler, bonjour la fin du rêve, des études, de la vie à deux, de la vie de famille, du changement d’emploi.
Je regarde ma mère, j’ai envie de la taquiner :
- Ton kleenex…
- Quoi mon kleenex ?
- Ton kleenex était gorgé d’eau, c’est lui qui t’as fait caler.
Nous croulons de rires.
Car même si un doute est immatériel, on le sait bien qu’il pèse dans nos esprits plus lourdement qu’un simple papier-mouchoir.
® copyright_Texte appartenant à l’auteure et tiré d’un recueil en cours d’écriture
Voyons ….depuis 2019 —que nous avons pas eu de tes nouvelles Clémence Bon , la vie REVIENT!!! BIEN CONTENTE. jE PRÉFÈRE UN BON DISCERNEMENT et plus de doutes
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Chère Yvette, je sens ton impatience eh! eh! et je t’en remercie. La vie file tellement vite que je n’ai pas pris la peine d’écrire de nouvelles histoires vraies. Merci de me rappeler à l’ordre.
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J’utilise des mouchoirs en tissu depuis…toujours. Mais, je dois l’avouer, après cette lecture, je vais sourire dorénavant chaque fois que je vais voir un mouchoir en papier 🙂
Bertrand
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Bonjour, Bertrand, quand on sait que ma mère apportait un mouchoir en papier dans la piscine, il y a de quoi rire. Merci de votre commentaire.
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Chère Clémence, ce matin j’ai décidé de parcourir mes messages et voici ton nom est là ‘a me regarder. Pourquoi ne pas lire une des histoires de Clémence. Tu as le don de jouer avec les mots et c’est plaisant. Merci chère Cl
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Bonjour, Marie Myrtha. Heureuse de savoir que tu te plais à lire mes textes. C’est gentil de prendre de ton temps pour commenter 🙂
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Texte savoureux Clémence! J’adore cette écriture métaphorique! Tu as ce don d’écrire des textes qui raisonnent encore en nous après leur lecture.
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Toujours intéressant chère Clémence merci et a la prochaine.
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Merci encore, chère Yvette 🙂
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C’est un beau compliment, ça, Myriam. Je me demande souvent si mes histoires trouvent écho chez les autres. Et quand je vois les partages des textes, je me dis que oui. Merci d’avoir pris du temps pour commenter 🙂
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Clémence , c,est très intéressant. Se faire laver et rire beaucoup j’imagine.Félicitations pour tous ces beaux textes
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Merci, Yvette. Ma mère s’est fait «laver» non pas par l’eau de la mer, mais bien par l’eau de la piscine. Ton expression est savoureuse 🙂
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Bravo Clémence. ton texte est a la fois inspirant et amusant. Je vous imagine rieuses et pleine de bonne volonté pour supporter votre soeur dans son entrainement. Et j’imagine facilement ta mère et son enthousiasme. Merci pour ce partage
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Ah ! Ah ! C’est à peu près comme ça que ça se passait. Merci de ton commentaire 🙂
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Très belle histoire qui s’applique dans presque toutes les situations de notre vie. Travail, famille, amitié etc.
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Oui, en effet, l’histoire s’exporte dans plusieurs sphères de notre vie. Merci d’avoir pris le temps de commenter 🙂
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