
Ma mère dit toujours : «Ma fille, fais attention à ce que tu désires parce que ça pourrait bien se réaliser, mais pas au moment et de la façon dont tu t’y attends.»
Maman, laisse-moi en douter.
Puis, même si les probabilités sont minces qu’un désir se réalise, qu’arrive-t-il quand notre souhait entre en conflit avec celui d’un autre à un moment très précis dans le temps ? C’est la question que je me posais en ce soir d’automne.
Mon ami Marc et moi, nous nous promenions dans un boisé situé en bordure de la ville. Ce parc est habité. C’est le refuge des oiseaux, des marmottes, des écureuils, des chevreuils, et même de quelques coyotes dépossédés de leur territoire par l’expansion des activités humaines.
Des coyotes…
Nous avancions dans des sentiers de terre recouverts ici et là d’amas de feuilles mortes sèches qui craquaient sous nos pas. L’air frais et humide sentait les épices si typiques dégagées par les feuilles à cette saison.
Tout à coup, Marc laissa tomber :
- J’aimerais ça voir un coyote.
- Ben, pas moi, répliquai-je, vigoureusement.
Marc se mit à rire. Il percevait sans doute une légère frayeur dans ma voix. C’est que je crois que les coyotes en ville ne se comportent pas de la même façon que leurs homologues en campagne. Comme ils se sont habitués à la présence humaine et ne la craignent plus, je présume qu’ils sont plus frondeurs.

Plus nous progressions dans le boisé, plus le bleu-noir de la nuit toute proche nous enveloppait. J’allumai ma lampe frontale. Une lumière jaunâtre vacillante balaya l’écorce grise des arbres. Marc n’avait pas apporté la sienne. Ni son cellulaire, d’ailleurs. Au moins, j’avais le mien…
Pour éloigner les coyotes curieux qui pourraient s’aventurer trop près de nous, je parlais et parlais sans cesse, même si les bois exigent d’emblée un silence respectueux. Les sentiers étaient déserts.

Nous arrivâmes à un pont de bois jeté par-dessus une grande rivière grise dont les flots se berçaient dans un léger clapotis. Une demi-lune bleue accrochée au ciel balançait son reflet à la surface des eaux.
Nous nous immobilisâmes au milieu du pont quand Marc me fit voir un héron qui nous survolait. L’oiseau se percha au faîte d’un grand arbre. La vue d’un deuxième héron ajouta une grâce à cette magnifique soirée d’automne. Nous recevions la splendeur de la nature avec gratitude et goûtions à la paix qui s’installait en nous.

Au bout du pont, nous nous enfonçâmes dans un sentier ténébreux et silencieux. C’est là que j’aperçus quelque chose que je ne pouvais identifier étant trop éloignée. Ayant une mauvaise vision nocturne, je m’appuyais sur Marc et ses bons yeux pour détecter tout danger.
- C’est quoi ça, Marc ?
- Où ça ?
- Là-bas, en face de nous, au milieu du sentier.
- Je ne sais pas.
- On dirait une bête avec un pelage blanc. Un pelage avec deux lignes blanches, je ne discerne pas bien.
- Ben oui, c’est blanc.
Après une minute, je chuchotai :
- Aie ! Elle reste là ! Elle s’en va pas !
- On va s’en rapprocher, dit-il.
La bête restait effectivement plantée là, comme si elle nous attendait. Même si je ne percevais aucun grognement, je commençai à ressentir quand même les effets de la peur : accélération cardiaque, crispation des muscles, sentiment de force.
Par réflexe, j’empoignai le bras de mon ami que je tirai légèrement devant moi pour me cacher derrière lui. Je n’avais certainement pas l’intention de le lâcher et de lui permettre de s’enfuir si la panique s’emparait de lui, et de m’abandonner à mon sort. Je n’aurais jamais pu rattraper quelqu’un d’aussi athlétique que lui.
La distance entre l’animal et nous se rétrécissait. Curieuse, elle restait immobile. Je m’accrochai de plus belle au bras de Marc. Tous mes sens étaient aux aguets.
Rendus à proximité, il éclata d’un rire sonore.
- Y’a pas de danger, ça sautera pas sur toi.
- Ah non ?
- Non, non, dit-il, hilare. C’est un cône orange !
Un cône orange flanqué de deux barres fluorescentes que faisait briller ma lampe frontale…
Marc s’était bien joué de moi et de ma mauvaise vision tout le long.
D’accord…
J’en étais quitte pour une bonne frousse.
Quant aux désirs de chacun, c’était match nul. Contrariés, nos souhaits se sont confrontés toute la soirée pour finalement se réaliser de façon surprenante; je voulais me balader sans coyote : désir comblé. Marc voulait en observer un : désir comblé, mais pas tout à fait sous la forme qu’il s’y attendait, cependant…
Je sais, je sais, on n’a plus les coyotes qu’on avait. Maudite pollution !
® copyright_Texte appartenant à l’auteure et tiré d’un recueil en cours d’écriture
Oups! Il y a eu une petite erreur. La phrase était te mener et non me mener. Désolée. Ta persévérance et ta créativité vont te mener vers l’apogée. Bravo! Bonne et heureuse année et continue d’écrire.
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Ta persévérance et ta créativité vont me mener vers l’apogée. Bravo! Bonne et heureuse année et continue d’écrire.
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Merci, Jocelyne, de ces bons mots et des ces encouragements 🙂
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Encore une fois, je me suis délectée de ton histoire qui m’a tenue en haleine.
Merci Clémence.
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C’est chouette de savoir qu’un cône orange peut tenir quelqu’un d’autre que moi en haleine 🙂 Merci d’avoir pris le temps de commenter mon texte, c’est apprécié
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Ton commentaire m’a fait rire, LL. Nous sommes tous-toutes habitées de pouvoirs méconnus qui vont s’éveiller au fil de la vie. Merci de ton commentaire 🙂
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C’est vrai que je dis souvent ça à mes filles!
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Exact, Lorraine 😉
Il subsiste dans ma tête une part de mystère lorsque nos voeux se réalisent. Est-ce une facette à découvrir, à explorer du pouvoir de notre cerveau ?
Dans ce fait vécu, je me demande si mon cerveau est assez puissant pour transformer un coyote en cône orange, ou bien si le cône orange indique que je manque de façon flagrante de pratique ! 🙂
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Bonjour Clémence, excellente conteuse ! À la suite à ta réponse au commentaire d’une lectrice, peut-être possèdes-tu des dons de fée ou de sorcière… pas encore maîtrisés… !?! -:)
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