
C’était un printemps larmoyant. Il pleuvait souvent. La neige était fondue depuis belle lurette dans cette cité bruyante, laissant sous elle des trottoirs gris. Des papiers et des sacs de plastique jonchaient le sol, propulsés par de petits tourbillons de vent.
Mais cet après-midi-là, les habituels nuages lourds s’étaient retirés dévoilant un ciel bleu-gris déchiré par endroits par des rayons de soleil vivifiants.
Assise dans un autobus bondé, j’observais une ville pressée à travers la vitre tachée par des gouttelettes de pluie séchées. L’engin roulait, pesant, sous le poids des gens assis ou se tenant debout entre les rangées de bancs, emmitouflés dans des manteaux devenus trop chauds pour la saison, ou déjà parés comme si c’était l’été. Le bavardage des passagers s’accentuait au fur et à mesure que l’heure de pointe se dessinait.

Le chauffeur freina brusquement, klaxonna la voiture arrêtée devant lui, à l’arrêt réservé. Tous les regards convergèrent vers l’avant. Le feu vert vira au rouge et la voiture ne put avancer.
Je tournai la tête vers la gauche et regardai dehors. Dans la rue, se trouvait un jeune homme à peine sorti de l’adolescence. Il se faufilait entre les voitures immobilisées, tentant de nettoyer les pare-brises à l’aide de son squeegee afin de récolter quelques sous. Sa peau apparaissait blanche à travers son jean troué aux genoux, ses cheveux châtains, noués en dreadlocks, ondulaient sous ses mouvements souples. La plupart des automobilistes le chassait; quelques-uns le payaient.
Je l’observais à travers la vitre salie par la pollution. Même si son visage se crispait sous les nombreux refus, sa persévérance était fascinante.
Soudain, – moi qui me crois toujours invisible et anonyme dans une grande ville – il leva la tête dans ma direction et ses yeux croisèrent les miens. L’avais-je regardé sans bouger? Ou bien lui avais-je souri à ce moment-là? Avais-je fait un imperceptible signe de la tête? Peut-être. Ou peut-être pas.
Tout se passa rapidement. Après avoir soutenu mon regard quelques instants, il se dirigea vers moi à grandes enjambées en contournant les voitures arrêtées au feu rouge. À cause de son pas décidé, j’eus un réflexe de recul sur mon siège. Je pensai alors qu’il frapperait agressivement son squeegee contre la vitre parce que je le regardais.
Rendu à ma hauteur, il leva son squeegee vers moi et, le maniant fort habilement, il le posa délicatement contre la vitre sale et y traça un grand cœur, juste avant que l’autobus ne reparte.
Estomaquée, je déposai ma main sur la forme dessinée et je lui souris pendant qu’on s’éloignait et qu’il disparaissait dans le trafic sous un feu de klaxons et de bruits de moteurs.
Je me souviens de cet événement comme d’un trésor, un moment de beauté pure.
Par un geste simple et spontané, ce jeune homme s’est servi d’une vitre crasseuse pour créer une minute qu’il a suspendue dans le temps, pour tous les gens qui l’ont vu agir. Et pour moi, l’invisible de l’heure de pointe.
® copyright_Texte appartenant à l’auteure et tiré d’un recueil en cours d’écriture
Wow, belle histoire. Tu ecris tellement bien Clémence.
Bravo 😊
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C’est vraiment gentil de ta part d’avoir pris la peine de commenter mon texte, un grand merci ! 🙂
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Vraiment très belle et touchante histoire ! Merci, Clémence et bonne continuation dans l’écriture !
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LL, contente d’apprendre que cette histoire a une résonance chez toi. Ce souvenir continue de me faire vibrer également 🙂
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Très beau et très touchant…prise 2
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Marlène, je suis contente que ce texte t’ait touchée.
Merci d’avoir pris la peine de commenter. Ça m’encourage ben gros 🙂
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Très beau et très touchant…
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Bien aimer ton histoire et surtout le message qu il véhicule bravo à toi Au plaisir de te relire
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Chère Roseline, c’est vrai que ce jeune homme a livré un beau message à l’aide de son squeegee et qui continue de vivre par ce texte. Parfois, je me demande ce qu’il est advenu de ce jeune… mais quoi qu’il en soit, son message vibre encore
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Je pourrai te lire toute la journée sans me lasser. Tu as une belle façon de décrire les événements qui nous entourent.
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Merci, Marie, de ton commentaire. C’est chouette de lire ça 🙂
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Du pure bonheur de te lire. Tu a une plume exceptionnelle. J’ai très hâte de lire un roman, une nouvelle ou autre de toi. Toutes mes félicitations ma belle !
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Chère Linda, c’est donc pas la première fois que tu m’incites à écrire un roman ou autre chose 🙂 Qui sait ce que l’avenir nous réserve ?
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C’est une très belle histoire bien racontée qui a fait monter les émotions en moi. Continues a nous raconter c’est beau ce que tu écrits
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Ça, c’est tout un commentaire, Lorraine ! J’espère que les émotions ressenties étaient belles et agréables 🙂
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