Crédit photo : Alfred Brumm – Creative Commons Attribution 4.0 International License
De : Clémence Bourget
Date : 2007-07-27 – 05:21
A : amis.internautes@clemencebourgetsite.com
Sujet : Coeur des hommes
Allô
Hier soir, Carl, c’est le nom que porte l’homme où je loge, the family’s man, a proposé une sortie en mer. Durant la balade, j’ai aperçu un navire canadien qui protège notre territoire amarré au port. Il était immense. Il y avait un gun sur le premier pont. Troublant. J’ai aussi vu des sous-marins. My godness ! Pareil comme dans les films de guerre des années 1940. Gros, noirs, en fer.
À notre retour à la marina, nous avons été invités par un ami de my family à boire une bière dans leur bateau. C’était à la tombée de la nuit. Imagines-toi assis dans un bateau amarré. Au loin, c’est l’océan Atlantique. En face, une masse d’eau te sépare des édifices de Halifax puisque tu te trouves du côté de Dartmouth; pendant que les édifices s’allument un à un, le soleil plonge à l’horizon offrant un coucher rose contrastant avec l’eau bleue qui s’assombrit tranquillement sous quelques traînées rosées; les lumières installées le long des ponts flottants de la marina s’illuminent également et la lune devient de plus en plus brillante dans le ciel pendant que le bateau tangue dans un continuel va-et-vient. Un moment de grâce. Et tu comprends soudain que toute ta vie, tu vas rechercher ces instants parfaits qui génèrent du bonheur.




De la musique de la Louisiane jouait en sourdine. L’ami de my family me fera cadeau plus tard d’un disque que nous écoutions ce soir-là. Ici, beaucoup de gens ont une grand-mère ou une arrière-grand-mère acadienne. L’ancienne Acadie s’étendait de l’État du Maine, aux États-Unis, jusqu’en Nouvelle-Écosse. Une Acadienne rencontrée par hasard dans l’autobus m’a expliqué qu’elle ne pouvait remonter dans sa généalogie plus loin que la déportation des siens en 1755. Ce grand nettoyage ethnique des francophones vivant dans le territoire devenu les provinces maritimes est un drame humain pas totalement cicatrisé. Quand les hommes ont été embarqués sur des navires pour être dispersés un peu partout en Angleterre ou aux États-Unis (des navires ont aussi coulé au cœur de l’océan), quelques-uns ont rejoint la côte gaspésienne et se sont installés dans la Baie-des-Chaleurs; je ne peux en expliquer la raison, mais chez nous, on affectionne les Acadiens considérés comme nos cousins. Dix ans plus tard, quelques rescapés acadiens ont réussi à se regrouper en Louisiane. Restées derrière sans moyen de subsistance parce qu’on leur avait retiré leurs fermes et leurs terres si fertiles convoitées depuis le départ, certaines femmes ont épousé des Britanniques devenus maintenant propriétaires.

Il me semble entendre les cris de ces gens arrachés à leur famille et enfermés dans des églises avant d’être déportés. Les larmes des hommes sur les bateaux qui s’éloignent, impuissants. Celles des femmes maintenues dans leur maison ne sachant pas ce qui se passe. C’est dingue comme les humains peuvent se faire souffrir au nom du territoire, de la langue ou de la religion.
Et ce sont tous les peuples sans exception qui le font. Quand j’ai surpris un ami arabe à fumer une cigarette, il m’a fait promettre de ne pas le dire à son frère, étudiant lui aussi. Il a joint ses deux poignets ensemble pour bien me faire comprendre qu’en Arabie Saoudite, si on le prenait à fumer ou à boire de l’alcool, on pouvait le jeter en prison. Il a goûté à sa première cigarette quand il a mis les pieds en Nova-Scotia.
L’école est constituée de 47 % d’étudiants arabes qui mettent le pied, pour plusieurs d’entre eux, hors de l’Arabie Saoudite pour la première fois de leur vie. Le directeur est lui-même Arabe et est marié à une Coréenne. Ça explique pourquoi ces deux ethnies sont en majorité à l’école. Le directeur ne lésine pas lorsque les étudiants arabes commettent de faux pas. Ils sont passibles de renvoi. Il les reçoit d’abord dans son bureau et leur explique les règles.
Sans être une règle absolue, on nous propose fortement de faire un exposé sur notre coin de pays lorsqu’on quitte l’école. Chaque vendredi, lors de la remise des diplômes, nous avons droit à ces présentations. Cette fois, c’était au tour des Japonaises de nous présenter leur pays. Elles étaient vraiment mignonnes avec des fleurs dans les cheveux vêtues de leur kimono traditionnel avec une grosse boucle qui ceinture la taille et s’attache au dos. Elles nous ont fait goûter à des sushis.
Mon anglais s’améliore et j’ai obtenu encore un bon score. Mon professeur, le beau Mikael, m’a suggéré de changer de niveau en précisant que ce n’était pas obligatoire. Je ne sais pas. J’en ai discuté avec un étudiant coréen qui vient de passer à un niveau supérieur, et il me conseille de rester dans la classe de Mikael parce qu’il est le meilleur enseignant de l’école, selon lui.
Il fait très chaud en ce moment à Halifax, 30°C, et le soleil tape fort. On me dit que la température est plus élevée qu’à l’habitude où elle se maintient généralement autour de 25°C. Quand il fait beau comme ça, Gemma, la femme de my family, se rend le matin à son travail en autobus et, en fin de journée, Carl passe la prendre au port de Halifax en bateau.

Ce soir, comme my family part en vacances à bord de leur bateau, Carl et Gemma me conseillent d’écouter des films en anglais dans leur sous-sol climatisé équipé cinéma. C’est ce que je m’apprête à faire avec une bière fraîche Alexander Keith, la bière écossaise s’impose évidemment.
À la tienne !
See you soon.
Clémence
Johanne L’abbé dit:
Ton voyage e mer me rappelle cette liberté que l’on ressent sur l’eau mais aussi comment on est petit face à ça. Des couchers de soleil nous ramèn
ent à l’essentiel de la vie: savourez ces moments. Merci
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Un moment parfait ! Un moment de grâce !
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Ton récit en mer et l’histoire de plusieurs peuples ayant vécus chacun différentes situations est très intéressant. Cela nous fait réaliser que nous devons être plus tolérants et s’entraider et se respecter entre nous.
Jocelyne
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Merci, Jocelyne, c’est très gentil d’avoir laissé tes impressions. C’est toujours intriguant de connaître ce que chacun voit et retient du texte
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